Obésité infantile: les facteurs de risque cardiovasculaire, une exception en Europe

le 25/02/2015 à 17h39 par  - Lecture en 4 min Ajouter à votre selection
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Si les facteurs cardiovasculaires représentent une notion qui fait peur chez les parents comme chez les médecins traitants d'enfants obèses, ils ne reflètent pas finalement une réalité française ni européenne, car il faut des décennies pour qu'un jeune obèse développe éventuellement un diabète, une hypertension artérielle ou encore une hyperlipidémie. Le point avec le Pr Patrick Tounian, chef de service de gastroentérologie et de nutrition pédiatrique à l'hôpital Armand Trousseau à Paris (12ème arrondissement), dans une interview accordée à l'APM, au décours du congrès Pédiatrie 2009, qui s'est déroulé à Toulouse.

Surveiller l'état de santé des enfants

La première attitude à adopter est, par conséquent, de " rassurer les médecins traitants comme les parents d'enfants obèses ", préconise le spécialiste. Si le diabète non insulino-dépendant lié à l'obésité est marqué par une prévalence notable aux Etats-Unis, ce n'est aucunement le cas ni en Europe, ni dans d'autres pays occidentaux comme le Canada. " Il ne faut donc pas se focaliser sur cette pathologie chez l'enfant obèse, seules certaines ethnies étant concernées ", commente-t-il (en l'occurrence, asiatiques, nord-américaines et africaines). En effet, selon les études observationnelles européennes, plusieurs décennies sont nécessaires pour développer un diabète. L'insulino-résistance avec hyperinsulinisme entraîne à la longue un épuisement du pancréas qui ne parvient plus à compenser l'hyperinsulinisme, à force de sécréter de l' insuline dont la production s'avère insuffisante: néanmoins, cette conséquence ne s'observe chez l'enfant obèse que de façon exceptionnelle. De fait: " nous avons recensé deux cas dans notre service en l'espace de 21 ans ", rapporte le Pr Tounian. Il semble donc inutile de diaboliser un concept qui ne traduit qu'une situation clinique rarissime. Tout comme le diabète, les autres facteurs pouvant constituer un syndrome métabolique , comme une hypertension artérielle ou une dyslipidémie, n'ont aucune conséquence clinique chez l'enfant obèse: là encore, " il faut plusieurs décennies " pour que celles-ci soient visibles, souligne le Pr Tounian. La définition du syndrome métabolique , selon le NCEP (National Cholesterol Education Program), correspond à l'existence d'au moins 3 des critères suivants : - tour de taille supérieur à 102 cm pour les hommes, 88 cm pour les femmes; - triglycérides supérieurs à 1,6 mmol/l; - HDL cholestérol inférieur à 1,04 mmol/l pour les hommes, 1,29 mmol/l pour les femmes; - pression artérielle supérieure ou égale à 130 / 85 mm Hg ou traitement anti-hypertenseur; - glycémie à jeun supérieure ou égale à 6,1 mmol/l. Ainsi, dans les pays européens, estime le Pr Tounian, le risque cardiovasculaire chez l'enfant obèse est largement surestimé: il faut donc raison garder et envisager une "prévention ciblée" et non généralisée, en tentant par ailleurs de faire maigrir un enfant obèse sans le forcer et en déculpabilisant les parents. Dans d'autres cas, explique le spécialiste, " on relâche la restriction lorsque la contrainte du régime devient trop forte, en réalisant un simple accompagnement, car avant l'âge de 10 ans, la plupart des enfants ne comprennent pas les raisons pour lesquelles on les restreint et leur organisme les pousse à manger, ce qui génère un sentiment de frustration pouvant devenir délétère. Entre 10 et 20 ans, l'enfant et l'adolescent peuvent comprendre davantage les bénéfices d'une diminution de la ration alimentaire ". Toutefois, seul " un tiers réussit et les résultats ne s'observent qu'à l'échelon individuel, selon un profil déterminé ", prévient-il. La surveillance d'un enfant obèse s'effectue selon un rythme adapté à chaque individu (entre un et 4 mois) , en respectant le principe du " sur-mesure ". En outre, aucun examen complémentaire ne doit être prescrit de façon systématique, sauf dans certains cas particuliers (dosage des lipides sanguins en cas d'antécédent familial de dyslipidémie ; glycémie à jeun en cas d'ethnie particulière, épreuves fonctionnelles respiratoires -EFR- en cas d' asthme ...). " Réassurer et déculpabiliser, sans faire de forcing en termes de régime alimentaire, représentent l'essentiel de la prise en charge d'un enfant obèse ", résume pour conclure le Pr Tounian.

Dyslipidémies familiales : une expression très précoce

Les dyslipidémies familiales -d'origine génétique- ont une expression clinique très précoce, dès l'âge de 3-4 ans, rappelle le Pr Tounian: un bilan sanguin doit donc être réalisé à partir de cet âge, mais jamais avant. Les formes les plus classiques sont l' hypercholestérolémie (forme la plus athérogène, liée à une mutation au niveau du récepteur aux LDL et à l'origine de taux sanguins très élevés de LDL), ainsi que la dyslipidémie combinée familiale (associant une hyper LDL-cholestérolémie et une hypertriglycéridémie). " Le traitement combine le régime alimentaire et un médicament hypolipémiant: cholestyramine dès 3-4 ans, si la famille est très angoissée (ce produit étant par ailleurs bien toléré), puis une statine vers l'âge de 8-10 ans au dosage adulte (5mg/j chez le plus jeune, puis 10 mg/j), avec un bilan sanguin à renouveler tous les 6 mois ", indique le pédiatre. L'objectif est d'atteindre soit un taux de LDL cholestérol à 1,90 g/l, en l'absence de maladie cardiovasculaire (telle qu'un angor à 35 ans) et de mortalité cardiovasculaire familiale précoce, soit un taux de 1,60 g/l dans le cas contraire. La prévention se fait, là encore, à l'échelon individuel et les enfants se révèlent globalement plutôt de " bons observants ", note le Pr Tounian, en signalant, cependant, que ceux qui consultent à l'hôpital Trousseau, dans son service, sont généralement issus d'un niveau socio-économique élevé.

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